La lumière naturelle n’était pas un simple élément fonctionnel parmi les épais murs de pierre qui définissent l’architecture romane ; elle constituait un langage mystique taillé dans la matière. Chaque rayon de soleil pénétrant par de minces ouvertures portait une intention spirituelle, destinée à guider le croyant dans un voyage symbolique, des ténèbres du péché vers la clarté de la rédemption. Ce jeu lumineux sophistiqué a évolué parallèlement au développement théologique et social de l’Europe médiévale.

Les trois étapes de la lumière romane
À ses origines (Xe–XIe siècles), lorsque la chrétienté occidentale se réorganise après les invasions normandes et magyares, les églises étaient des refuges d’ombre. Des temples comme San Juan de la Peña (Huesca) ou Santa María de Eunate (Navarre) utilisaient de minuscules fenêtres, souvent de simples archères, qui filtraient une lumière ténue, créant une atmosphère de recueillement monastique. Le plan centralisé d’Eunate, avec ses huit faces illuminées radialement, suggérait déjà cette conception de la lumière comme émanation divine.

Le roman classique (XIe siècle) transforma l’obscurité en dramaturgie sacrée. De grandes églises de pèlerinage comme Sainte-Foy de Conques ou Sant Pere de Rodes établirent une hiérarchie lumineuse où la nef restait dans l’ombre tandis que l’abside brillait comme une cible visuelle. Les architectes découvrirent que la voûte en berceau pouvait guider le regard vers l’autel, baigné par les rayons obliques du matin. À Sant Climent de Taüll, les fresques du Christ Pantocrator prenaient vie à l’aube, lorsqu’elles étaient directement frappées par le soleil.

La dernière phase (XIIe siècle) annonça le gothique avec des innovations audacieuses. La cathédrale de Zamora couronna son ciborium d’une lanterne qui versait une lumière zénithale sur la croisée du transept, symbole de l’union entre le terrestre et le céleste. À Cluny III, alors plus grand temple chrétien du monde, un claire-voie continu montrait que les murs pouvaient commencer à se « dématérialiser » sans perdre leur fonction structurelle.

Géographie de la lumière sacrée
Chaque région interpréta ce langage lumineux à sa manière. Dans le roman lombard de San Zeno de Vérone, les fenêtres étaient dissimulées derrière des galeries aveugles, tamisant la lumière comme un voile. Les églises rhénanes, telles que Maria Laach, privilégiaient les tours-lanternes qui transformaient la croisée en phare spirituel. L’Espagne proposait des solutions uniques : de la déambulatoire de Saint-Jacques-de-Compostelle, où chaque chapelle rayonnante possédait son propre système d’éclairage, au singulier roman de brique mudéjar, qui filtrai[t] la lumière à travers des moucharabiehs.

Cet héritage reste vivant aujourd’hui. Que ce soit lors de restaurations de temples romans ou dans des espaces contemporains inspirés de leur esthétique, le défi demeure le même : recréer cette lumière qui semble venir d’ailleurs, non pas du soleil, mais d’une autre dimension. Un legs qui nous enseigne que l’architecture ne se limite pas à contenir l’espace, mais peut aussi transformer les consciences.

Par Guillermo Ferrer, architecte senior au département d’architecture d’Amusement Logic

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