Depuis ses origines au VIIᵉ siècle, l’architecture islamique incarne une relation profonde avec la lumière naturelle. Inspiré du verset coranique proclamant que « Dieu est la lumière des cieux et de la terre » (Sourate 24:35), le langage architectural fait de la lumière un élément transcendantal ; par elle, le matériel évoque le sacré. À travers les siècles et les dynasties — des Omeyyades aux Moghols —, ce dialogue entre matière et lumière a pris des formes variées, mais n’a jamais perdu son essence : transmettre un message spirituel.
Lumière et géométrie
L’aniconisme islamique, qui évite la représentation figurative de personnages et d’objets sacrés, a donné naissance à un art abstrait où la lumière devient le narrateur principal. Des matériaux comme les stucs ajourés, les marbres polis, les céramiques vernissées ou les bois sculptés sont choisis non seulement pour leur beauté, mais pour leur capacité à transformer la lumière en motifs dynamiques. Ces éléments — associés à des motifs géométriques et calligraphiques — créent des jeux d’ombres et de reflets qui évoluent selon l’heure, dans des intérieurs conçus comme des scènes vivantes de contemplation.
Évolution historique : de la sobriété au sensoriel
Sous les Omeyyades, dans la Grande Mosquée de Damas (706–715), la lumière entrait avec délicatesse par les cours intérieures et les hautes fenêtres, traversant une atmosphère paisible qui guidait le regard vers le mihrab.
Avec les Abbassides et les Seldjoukides, la lumière devient plus théâtrale, comme dans la mosquée Ibn Touloun (Le Caire, IXᵉ siècle) ou la mosquée du Vendredi d’Ispahan (XIᵉ–XIIIᵉ siècles), où elle accentue arcs, dômes et iwans, soulignant leur monumentalité sacrée.
En Al-Andalus, dans la Grande Mosquée de Cordoue, la lumière filtrée entre les arcs outrepassés superposés, tandis qu’à l’Alhambra, elle devient poésie visuelle. Des patios comme celui des Lions ou des salles comme celle des Deux Sœurs utilisaient moucharabiehs, bassins et voûtes à muqarnas pour fragmenter la lumière en mille particules dansantes
Avec les Ottomans et les Moghols, des architectes comme Sinan élèvent la lumière à une échelle monumentale. Dans la mosquée Süleymaniye (Istanbul), les cercles de fenêtres font « flotter » les coupoles. Au Taj Mahal, le marbre blanc et les claires-voies diffusent la lumière jusqu’à créer une aura éthérée, symbole d’éternité.
Espaces domestiques : intimité et protection
Dans des palais comme le Topkapi ou dans l’habitat traditionnel, la lumière prend une dimension intime. Les mashrabiyas — moucharabiehs en bois — filtrent le soleil en projetant des motifs géométriques mouvants, tout en préservant l’intimité. Les cours intérieures et fontaines renforcent cette sensation en mariant lumière, eau et végétation dans une expérience sensorielle unique.
En l’absence d’images, la lumière devient le vecteur du transcendant, reliant l’humain au divin par des géométries sacrées et des matériaux vibrant à son contact. De la sobriété omeyyade au baroque moghol, chaque époque réinvente ce principe, sans jamais s’en écarter : utiliser la lumière non pour éblouir, mais pour inviter au silence, à l’émerveillement et à la connexion avec l’éternel. Ce legs nous rappelle aujourd’hui que l’architecture est avant tout un art de la lumière et de l’ombre.
Par Guillermo Ferrer, architecte senior au Département d’Architecture de Amusement Logic.