Des premières traces dans la vallée de l’Indus aux sophistiqués hammams ottomans, le bain, fruit du développement culturel et technologique des sociétés, a toujours été plus qu’un simple acte d’hygiène : un rituel social, un espace de réflexion et de renouveau physique et spirituel. Ce qui suit est un bref voyage historique à travers cette saine — et profondément sociale — coutume du bain.
Mohenjo-Daro : purification et symbolisme
Au troisième millénaire avant notre ère, la civilisation de la vallée de l’Indus construisit à Mohenjo-Daro (actuel Pakistan) ce que l’on considère comme la première piscine publique du monde. Ce grand bassin de 12 x 7 mètres, revêtu de briques de terre scellées au bitume pour assurer son étanchéité, semble avoir été utilisé à des fins rituelles et communautaires, révélant dès ses origines la dimension sacrée et collective du bain.

Image : Grand bain à Mohenjo-Daro| Wikimedia
Grèce et Rome : les thermes, cœur de la vie sociale
Dans la Grèce classique (Ve siècle av. J.-C.), les bains publics apparaissent d’abord dans des gymnases, puis évoluent en complexes thermaux intégrant des systèmes de chauffage comme l’hypocauste, que l’on peut encore observer dans les bains de Gela (Sicile).

Image : Thermes grecs de Gela, Sicile, 4e siècle av. J.-C. Les plus anciens d'Italie et parmi les premiers à disposer d'un hypocauste (chauffage par le sol).| Wikimedia
Mais ce sont les Romains qui portèrent cette culture du bain à son apogée. Les thermes de Caracalla ou de Bath, alimentés par des aqueducs, combinaient différentes salles — frigidarium, tepidarium, caldarium — et servaient non seulement à l’hygiène, mais aussi aux affaires, à la politique ou à la lecture dans des bibliothèques entourées de jardins.

Image : Piscine du complexe thermal de Minturnae. Elle était équipée d'un système de chauffage de l'eau pour pouvoir être utilisée en hiver ( !) | Wikimedia
Asie : spiritualité et technologie de l’eau
En Inde, les pushkarani — bassins rituels attenants aux temples, comme celui de Krishna à Hampi (XIVe siècle) — avaient une double fonction : purification spirituelle et réserve d’eau. En Chine, sous la dynastie Song (960–1279), les bains publics se popularisèrent, proposant massages, boissons fraîches, et eaux chauffées au charbon ou par sources thermales (comme à Huaqing).

Image : Pushkarani de Krishna à Hampi (XIVe siècle), construit par l'empire Vijayanagara | Wikimedia

La photo montre les sources d'eau chaude de Huaqing, à environ 25 km à l'est de Xi'an.
(La première piscine en pierre a été construite sous la dynastie Qin, de 206 avant J.-C. à 220 après J.-C.) | Wikimedia
Le monde islamique et les hammams
Les bains turcs, héritiers des thermes romains, devinrent des piliers sociaux dans le monde islamique. Les hammams, comme ceux de Ronda (XIIIe siècle), combinaient salles de vapeur, gommages au kese et espaces de sociabilité, devenant des lieux de relaxation, d’hygiène et de cohésion communautaire.

Sur l'image, les thermes de Ronda s. XIII | Wikimedia
Moyen Âge et Renaissance : splendeur et déclin
L’Europe médiévale conserva une culture du bain florissante. Les maisons de bain urbaines, avec cuves en bois et savons à l’huile d’olive, étaient parfois des lieux de repas partagés. Cependant, à la Renaissance, la pénurie de bois et la peur de maladies comme la syphilis précipitèrent leur déclin. Le recours aux parfums et aux vêtements propres remplaça peu à peu les immersions régulières.
Le bain, miroir d’une société
De Mohenjo-Daro à aujourd’hui, l’histoire du bain révèle une constante : les sociétés qui intègrent ces espaces dans leur quotidien valorisent la santé, la vie en communauté et l’innovation technique. Peut-être, comme le montrent les thermes romains ou les hammams, la grandeur du bain réside-t-elle dans cette compréhension profonde que l’eau ne nettoie pas seulement le corps, mais renforce les liens sociaux.
Par Miquel Solís, architecte senior au sein du Département d’Architecture chez Amusement Logic