Bien que l’historien et sociologue américain Lewis Mumford ait attribué dès 1934 cette observation pertinente au mathématicien et philosophe britannique Bertrand Russell, c’est le physicien italien Cesare Marchetti qui, dans son article de 1994 intitulé Anthropological Invariants in Travel Behaviour, a formulé le principe qui porte aujourd’hui son nom (bien que Marchetti lui-même attribue la découverte à l’analyste et ingénieur israélien des transports Yacov Zahavi). Quoi qu’il en soit, ce principe stipule que le temps moyen qu’une personne passe chaque jour à se déplacer entre son domicile et son travail est d’une heure, soit une demi-heure dans chaque sens. Cette durée moyenne de déplacement dans une direction, ou « constante de Marchetti », est la même dans les villes d’avant 1800 que dans les villes modernes.
Ainsi, selon les données fournies par la publication Quartz (tirées de l’article de Marchetti), avant 1800, lorsque les gens se rendaient à pied au travail, le diamètre moyen des villes européennes (dont Rome, Venise et Berlin) était de 5 km. Si l’on considère que la plupart des gens parcourent une distance de 1,6 à 3,2 km en marchant pendant 30 minutes, on peut en conclure que le temps nécessaire pour parcourir le rayon de ces villes était assez proche de la constante de Marchetti. Là encore, selon les données récentes disponibles, le temps de trajet moyen aux États-Unis est actuellement de 27,6 min, de 26,2 au Canada ou de 29,5 au Royaume-Uni ; en Europe, la moyenne est de 25 min, tandis qu’en Chine (données 2015), la moyenne nationale était de 27 min ; En revanche, dans un pays du Moyen-Orient comme Dubaï (car il n’existe pas de données globales), le temps de trajet moyen est de 39,32 min (il ne faut pas oublier que ces données sont des moyennes, ce qui implique une certaine variabilité et, en tout état de cause, ne montrent que des tendances).
Alors que Marchetti attribue dans son article ce fait curieux à « l’unité des instincts de voyage dans le monde, indépendamment de la culture, de la race et de la religion », d’autres analystes l’attribuent à des questions de consommation et d’économie de temps. En tout cas, la constante de Marchetti explique la manière naturelle dont l’urbanisme et les villes se développent. Ainsi, sa validité, du moins au cours des deux derniers siècles, s’explique par le fait que lorsqu’apparaît un nouveau moyen de transport qui réduit le temps de trajet de ses habitants, les villes s’étendent généralement jusqu’à la limite à laquelle ce temps devient supérieur à 30 minutes. Ainsi, par exemple, les tramways et les métros ont d’abord permis aux gens de vivre dans un quartier et de travailler dans un autre. Par la suite, les trains de banlieue, ou les voitures et les autoroutes, ont progressivement augmenté la distance entre les habitations de banlieue et les lieux de travail en ville. Et toujours, jusqu’à la limite d’environ 30 minutes dans chaque sens.
Comme on peut le voir, la constante de Marchetti est une fonction de l’efficacité (ou de la vitesse) des moyens de transport disponibles, et du rayon des villes. Nous pouvons donc exprimer mathématiquement (à des fins purement ludiques et illustratives), le principe qui sous-tend la constante dite de Marchetti (kM), en fonction (f) du rayon de la ville, ou de la distance que les gens doivent parcourir de leur domicile au centre de travail (r), et de la vitesse de déplacement que les moyens de transport dont ils disposent permettent (v) :
kM = f (r/v)
Aujourd’hui, avec l’essor du télétravail et l’absence de déplacements qui en résulte, l‘évolution de l’urbanisme pourrait prendre un chemin différent. Actuellement, selon des études récentes, le télétravail a entraîné un déplacement de la demande de biens immobiliers des quartiers d’affaires denses des centres-villes vers des quartiers de banlieue moins denses et des zones rurales. Nous sommes certains que, comme nous, vous n’êtes pas étranger aux reportages sur l’exode croissant vers les villages grâce au télétravail. Il sera intéressant de suivre cette évolution.