Ce mois-ci, nous vous présentons l’un de ces visionnaires qui nous ouvrent les yeux — sans mauvais jeu de mots —, l’un des créateurs derrière El Diablo NEO de PortAventura, la première montagne russe en réalité mixte au monde. Pendant plus d’une décennie, il s’est consacré à la création d’expériences immersives, a dirigé des projets pionniers comme Hysteria in Boothill — également à PortAventura — et a collaboré avec des géants comme Meta au développement du métavers. Lisez et découvrez la relation secrète entre créativité, technologie avancée et interaction numérique. Devant vous, l’avenir des expériences mixtes et du divertissement phygital (physique + digital), qui, soit dit en passant, est déjà là.

Amusement Logic : Tu viens d’inaugurer à PortAventura El Diablo NEO, la première montagne russe au monde en réalité mixte. Quelle émotion prédomine aujourd’hui : soulagement, fierté ou déjà tourné vers le prochain défi ?

Edgar Martín-Blas Méndez : Une immense fierté pour le travail d’équipe réalisé ces derniers mois avec PortAventura, et pour le succès de l’attraction, surtout pour les retours positifs et les sourires sur les visages des visiteurs. Beaucoup comprennent qu’il s’agit d’une innovation complexe qui ouvre de nombreuses portes à l’avenir, et ils le transmettent à toute l’équipe.

Ce fut un défi créatif et technique de haut niveau ; pensons que la réalité mixte est très différente de la réalité virtuelle (RV), qui existe depuis 2013. La RV classique est une sorte de vidéo immersive, avec un effet 3D et un mouvement simulé ; on voit toujours du contenu virtuel de façon isolée à travers un écran.

La réalité mixte, en revanche, combine le monde réel et le monde virtuel. Pour cela, nous devons positionner des éléments virtuels sur une surface de plusieurs milliers de mètres carrés (le contenu est littéralement construit sur le parc), et il faut que tout semble réel, presque physique, et qu’il coexiste avec le décor réel, comme une scénographie supplémentaire. L’avantage est que, comme c’est virtuel, nous pouvons construire des mondes immenses, sans limites.

Dans El Diablo NEO, nous avons imaginé des créatures géantes gardant un monde parallèle caché dans une mine mexicaine. C’est un univers peuplé de pyramides, têtes colossales et temples oubliés ; quelqu’un a fait tomber le mur qu’il ne fallait pas, et un portail s’est ouvert, laissant ce monde envahir PortAventura.

A.L. : Après le succès de votre première attraction à PortAventura, Hysteria in Boothill, quels ajustements clés avez-vous apportés à El Diablo NEO ? Et comment évaluez-vous l’impact sur l’expérience utilisateur ?

E.M.M. : Hysteria in Boothill fut notre première attraction à PortAventura, et nous en sommes très fiers car elle fut pionnière de la réalité mixte à échelle humaine (plus de 200 m² d’expérience multisalle et multiutilisateur). On y déambule dans une vieille maison réelle, où apparaissent des éléments d’horreur virtuelle intégrés au décor.

Cette expérience nous a permis de progresser techniquement et créativement, et PortAventura nous a donc confié El Diablo NEO. Étant un rollercoaster de seulement 3 minutes, la narration est plus simple, centrée sur la spectacularité, la grande échelle et des effets vertigineux.

Quant à l’expérience utilisateur, il faut garder à l’esprit que certaines générations sont très habituées au numérique ; cette fusion du réel et du virtuel est leur environnement natif. Les utilisateurs se laissent simplement porter par la surprise, l’inconnu, et l’imagination n’a plus de limites, tout comme dans le monde numérique qu’ils connaissent déjà.

A.L. : El Diablo NEO a nécessité 10 ans et 260 projets antérieurs. Quel a été le plus grand obstacle technique, et comment l’avez-vous surmonté ?

E.M.M. : Ce projet est sans doute l’un des plus complexes que nous ayons jamais réalisés en plus de dix ans, surtout pour créer cette couche virtuelle à l’échelle 1:1 sur le monde réel. Imaginez une maquette virtuelle géante littéralement ancrée au parcours du rollercoaster, persistante, mais sans intervention physique, simplement avec des lunettes de réalité mixte.

La formule est secrète, car elle repose sur un grand volume de code propriétaire, créé spécifiquement pour PortAventura ; il n’y avait aucun précédent en réalité mixte ou en spatial computing au-delà de la navigation en pièce comme dans Hysteria ou dans les applications de réalité mixte à échelle domestique proposées par Meta ou Apple. Ce projet va beaucoup plus loin et a nécessité un énorme effort de l’équipe, ainsi que de nombreux tests sur l’attraction elle-même, jusqu’à ce que cela fonctionne.

A.L. : Tu évoques l’usage de l’intelligence artificielle (IA) pour les calculs mathématiques et le design. Peux-tu donner un exemple concret de l’impact sur le processus ? Jusqu’où peut aller l’IA dans la création d’expériences immersives ?

E.M.M. : L’IA nous a beaucoup aidés, tant sur les aspects mathématiques que sur le processus créatif. Pouvoir itérer aussi vite sur des concepts et idées, c’est impressionnant ; ce qui prenait des années se fait aujourd’hui en quelques mois. C’est indéniablement un grand bond en avant en agilité. Cela dit, tout le projet, au-delà des esquisses ou calculs assistés par IA, a été réalisé à la main : le modélisme, la texturation, la programmation. Et nous avons apprécié chaque étape.

A.L. : Tu dis que NEO est l’avenir du loisir. Pourquoi la réalité mixte est-elle, selon toi, la clé pour séduire le grand public, au détriment de la réalité virtuelle ? Verra-t-on un jour des parcs 100 % “phygitaux” ?

E.M.M. : C’est une couche qui ajoute une forme d’expérience et de fantaisie au réel, via des lunettes de plus en plus légères — comme de simples lunettes de soleil (Meta ORION arrive bientôt avec ce concept). Cela ouvre mille possibilités. Les sourires à la fin de l’expérience sont notre moteur. On lit dans les yeux des gens : « je n’avais jamais vécu ça ». Et on y retrouve l’enfant en chacun de nous.

J’adore Efteling, un parc rempli d’animatroniques très réussis mais limités dans leurs mouvements et difficiles à entretenir. Dans quelques années, tu pourras te promener dans sa forêt et vivre un conte de fées avec des fées volantes, presque réelles, qui te guident dans une narration à l’échelle de la forêt, inimaginable physiquement.

Autre point crucial : la réalité mixte ne provoque pas de nausée. C’est essentiel. Comme on voit toujours le monde réel, le cerveau s’oriente mieux que dans la RV, qui peut provoquer des sensations désagréables. De plus, l’utilisateur garde le contrôle et partage l’expérience avec ses amis.

A.L. : Qu’est-ce qui t’a poussé à créer Spatial Voyagers, qui produit des expériences phygitales, et Virtual Voyagers, dédiée aux projets de métavers pour les grandes marques ? Y a-t-il eu un moment décisif où tu t’es dit : « C’est ça, ma voie » ?

E.M.M. : Quand nous avons testé, il y a presque deux ans, les Meta Quest 3 – les premières lunettes capables de mixer le réel et le virtuel avec une bonne qualité –, nous avons fait des essais avec une baleine et un pirate surgissant d’un mur. L’effet était incroyable. L’élément que nous placions sur le monde réel semblait quasiment physique. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de créer Spatial Voyagers, une entité centrée sur cette fusion entre le monde réel et le monde virtuel.

Virtual Voyagers est notre unité dédiée aux projets de réalité virtuelle classique, de vidéo 360° et de métavers. Honnêtement, après des années de projets, je constate beaucoup plus de progrès du côté de la réalité mixte que de la réalité virtuelle. Cette dernière n’a connu que peu de nouveautés ces dernières années, à part une meilleure puissance ou des écrans améliorés. En réalité, 80 % de notre chiffre d’affaires provient désormais de la réalité mixte. Le changement de tendance est très clair.

A.L. : Vous avez également travaillé sur le développement du métavers de Meta. Qu’avez-vous appris de cette expérience, et comment cela influence-t-il vos projets dans le monde réel ?

E.M.M. : C’était une expérience fascinante de participer à l’un des projets les plus avant-gardistes du moment. Le métavers nous a appris ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans les environnements virtuels : ce que les utilisateurs aiment, ce qu’ils trouvent naturel, et ce qui les fait revenir ou non.

En fin de compte, ce que les gens recherchent dans une expérience numérique, c’est du sens, du plaisir, de l’émotion et du lien. C’est ce que nous appliquons ensuite à nos projets dans le monde réel, comme El Diablo NEO, mais aussi dans d’autres domaines : événementiel, musées, retail, architecture… Aujourd’hui, tout est expérience, et ce que nous avons appris dans le métavers, c’est comment la concevoir de manière plus humaine.

A.L. : Tu viens du design numérique, tu es passé par le motion graphics et aujourd’hui tu fais de l’architecture numérique immersive. À quoi ressemblera, selon toi, l’espace du futur ?

E.M.M. : Ce sera un espace dynamique, personnalisable et phygital (physique + digital). Nous serons capables d’adapter l’environnement à notre état émotionnel, à notre activité ou même à la saison. Les murs ne seront plus statiques, mais écrans sensibles. Le mobilier sera modulable et interactif. Le contenu immersif ne sera plus une couche ajoutée, mais une dimension intégrée de l’architecture.

Je crois profondément que l’architecture du futur sera une collaboration entre humains et IA, entre designers et utilisateurs, entre réalité et imagination. Et elle devra surtout être émotionnelle, accessible et durable.

A.L. : Et pour finir, un souhait, un rêve, une utopie pour les années à venir ?

E.M.M. : Que la technologie devienne invisible pour devenir magique. Que nous arrêtions de parler de gadgets et de chiffres, pour parler d’émotions, de souvenirs, de récits. Que nous utilisions tout ce potentiel pour créer de la beauté, pour connecter les gens et pour inspirer les nouvelles générations.

Et aussi, pourquoi pas, que nous construisions un jour un parc d’attractions 100 % mixte, où l’on pourrait changer de décor, d’époque ou de personnage à volonté, sans rien détruire, sans déchets, avec juste une paire de lunettes et beaucoup d’imagination.

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