Définir l’innovation, expliquer les stratégies sur le marché chinois (entre autres), récapituler les leçons apprises au cours de décennies de carrière, évaluer l’importance de la propriété intellectuelle, du design, de la coordination entre les parties fondamentales du projet, expliquer comment attirer le public vers les attractions… Ce ne sont que quelques-unes des questions que nous éclaire le professionnel que nous vous invitons à découvrir, témoin du travail réalisé à Chimelong Water Park ou dans des parcs exploitant les propriétés intellectuelles de Warner Bros., Mattel ou Hasbro, et aujourd’hui directeur des opérations de la société chinoise Keyestone Properties Development. Faut-il une autre présentation ? Allons-y.
Amusement Logic : Après plus de 20 ans d’expérience dans les secteurs des loisirs, du divertissement et du tourisme, qu’est-ce qui vous a attiré vers l’industrie des parcs aquatiques et à thème ?
Alan Mahony : Je suis né et j’ai grandi à Sydney. À 20 ans, j’ai décidé de voyager pendant un an en Australie, j’ai cherché du travail et j’ai fait du surf. Je suis arrivé à Gold Coast, dans le Queensland, et après quelques mois de surf, j’ai eu besoin de commencer à travailler. Un ami m’a présenté à Wet’n’Wild Water Park, où j’ai commencé comme sauveteur. La saison suivante, je suis devenu directeur des opérations et, quelques années plus tard, j’ai rejoint Warner Bros. Movie World pour la pré-ouverture et l’exploitation du parc. Comme vous pouvez le voir, je n’ai jamais terminé mon voyage en Australie, mais mes opportunités professionnelles dans l’industrie des attractions m’ont mené en Asie.

A.L. : Vous avez travaillé avec des technologies de pointe et des attractions innovantes sur des projets comme SEVEN, en Arabie Saoudite. Comment définissez-vous l’innovation dans ce secteur, et quelles tendances marqueront l’avenir ?
A.M. : La technologie de pointe est un domaine que nous devons constamment connaître et comprendre. Non seulement en ce qui concerne les attractions, mais dans toutes les sphères améliorant l’expérience des visiteurs, depuis la billetterie jusqu’à la restauration. L’innovation dans notre secteur est cruciale, car elle permet d’obtenir un avantage pour devenir leader du marché et y rester. Disney et Universal sont des leaders en matière d’innovation à travers leurs attractions, et elles offrent toujours des expériences hautement immersives. De nombreuses nouvelles attractions voient le jour au Moyen-Orient, et un parc récent y a même remporté plusieurs prix d’innovation, mais il enregistre pourtant une faible affluence. J’ai du mal à comprendre comment une attraction innovante peut ne pas attirer de visiteurs. Pour façonner l’avenir, nous avons besoin d’attractions qui attirent le public et offrent une expérience de qualité supérieure, tout en comprenant les besoins du marché.

A.L. : En plus de l’Arabie Saoudite, vous avez travaillé en Thaïlande, en Chine et dans d’autres pays. Comment adaptez-vous vos stratégies à ces marchés ?
A.M. : Il est essentiel que les nouveaux promoteurs et exploitants comprennent les différences entre ces marchés. D’après mon expérience, il est primordial de vivre dans la ville où le projet se développe, d’investir du temps pour comprendre les besoins du marché, d’explorer les loisirs et la gastronomie locaux, de fréquenter les restaurants de la région, de vivre dans des communautés locales, de rejoindre des clubs, de voir quels sports ou activités intéressent les habitants et, surtout, de se lier d’amitié avec eux. Il faut comprendre leur marché, ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, et surtout, ce qu’ils considèrent comme un bon rapport qualité-prix. Cette connaissance du marché permet de développer des stratégies efficaces en matière de design, de développement et d’exploitation.

A.L. : Vous avez participé à l’ouverture de parcs emblématiques comme Chimelong Water Park et Beijing Watercube Waterpark. Qu’avez-vous appris de ces projets, et comment appliquez-vous ces leçons à votre travail actuel ?
A.M. : Il n’y a rien de plus gratifiant que d’ouvrir une nouvelle attraction, en particulier sur un marché encore inexploré. Chimelong Water Park a été un véritable tournant, non seulement pour les parcs aquatiques en Chine, mais dans le monde entier. Nous avons étudié les problèmes du marché chinois des parcs aquatiques, qui était encore récent, et avons acquis une solide compréhension de celui-ci. Étant chargé de la gestion d’un parc animalier, d’un parc à thème et d’un hôtel, nous avions une longueur d’avance. La sélection judicieuse des attractions, en collaboration avec les fournisseurs, a été essentielle.
La vraie différence a été notre vision à long terme et notre compréhension du secteur et de ses besoins en matière de croissance, une stratégie toujours appliquée aujourd’hui par Chimelong Water Park. Nous avons mis l’accent sur le divertissement et avons introduit des spectacles et des artistes sur la scène d’une piscine à vagues, un concept que le public a accueilli avec enthousiasme.
Lors de mes expériences au Moyen-Orient, j’ai observé que de nombreux parcs avaient été conçus sans prévoir leur expansion future. Or, l’industrie ne fonctionne pas ainsi. Les succès comme Chimelong, Disney ou Universal montrent que l’ajout régulier d’attractions est essentiel pour accroître la fréquentation et les revenus. Les parcs qui ne conçoivent pas leur plan avec cette stratégie risquent de rencontrer de lourdes pertes, sans possibilité d’expansion et avec une faible rétention de visiteurs.

A.L.: Vous avez collaboré avec des propriétés intellectuelles (PI) mondiales telles que Warner Bros, Mattel et Hasbro. Comment vous assurez-vous que les projets reflètent l’essence des marques tout en attirant le public local ?
A.M.: Il est essentiel que les trois parties du projet (propriétaires, propriété intellectuelle et concepteurs) soient représentées dans tous les aspects de la phase de conception. Il est nécessaire de désigner un groupe de conception spécialisé en parcs à thème, parcs aquatiques ou parcs d’attractions, reconnu et de confiance, en adéquation avec le style du projet. Il est important que ce groupe ne se limite pas à une expertise architecturale, mais qu’il dispose également d’une équipe solide pour la partie créative et la narration intégrant la propriété intellectuelle. L’intégration de la propriété intellectuelle doit être pensée tout au long du parcours de l’expérience du visiteur afin de créer l’identité visuelle de l’attraction.
Il est crucial que la propriété intellectuelle soit présente durant la phase de conception. À mon retour en Chine, j’ai constaté que les propriétés intellectuelles avec lesquelles je travaille disposent de solides équipes locales et de cadres expérimentés en conception de parcs à thème, qui comprennent parfaitement comment les intégrer au mieux dans les attractions, en fonction du marché concerné. Il est important de rappeler que les marchés mondiaux peuvent varier considérablement d’une région à l’autre, et c’est pourquoi il est indispensable de disposer de membres d’équipe locaux compétents lors de la phase de conception.
Troisièmement, il doit y avoir une représentation des propriétaires, qui doivent également posséder une expérience en conception et exploitation de parcs à thème, ainsi qu’une bonne connaissance du marché local et du public cible. Des réunions de conception régulières, voire hebdomadaires, sont requises, ainsi que des ateliers prévus contractuellement tout au long du processus de conception. En Chine, le tout récent Zootopia Land a connu un succès remarquable en capturant et reflétant l’essence de la marque, mais surtout en séduisant le public local.

A.L.: Quelle est votre stratégie pour garantir que ces projets soient attractifs, mais aussi rentables sur le long terme ?
A.M.: Cela découle de la question précédente. J’ai personnellement constaté des succès lorsque le représentant de la PI et celui des propriétaires travaillent main dans la main pour orienter l’équipe de conception. En revanche, j’ai vu des projets échouer lorsque les représentants des propriétaires et de la PI restent passifs et laissent l’équipe de conception mener le processus sans remettre en question les concepts et les attractions présentés. Lors de la planification de la conception conceptuelle, il est fondamental de bien connaître le marché cible et la perception de la PI dans cette région. L’expérience des visiteurs, d’un point de vue opérationnel, est également essentielle, et pourtant elle est parfois négligée lors de la conception.
J’ai vu des attractions basées sur une PI être conçues et construites sans aucune implication des opérateurs, pour ensuite échouer économiquement. De plus, les calculs opérationnels du flux de visiteurs, qui nécessitent l’expertise d’un exploitant expérimenté, permettent d’obtenir des chiffres précis dès les premières phases du projet, ce qui aide à déterminer si le design et le choix des attractions seront rentables. Enfin, la prévision et la planification des futures extensions, comme je l’ai mentionné précédemment, doivent être prises en compte dès la phase de construction.

A.L.: En tant que directeur des opérations de Keyestone Properties, vous avez géré des projets combinant immobilier, tourisme et divertissement. Quels sont les plus grands défis logistiques et opérationnels, et quels sont les avantages et inconvénients de ces développements à usage mixte ?
A.M.: Il est important que, même si le plan directeur englobe tous les aspects de l’aménagement, la conception conceptuelle des attractions soit presque un projet distinct. Les groupes de conception spécialisés dans les parcs à thème, les parcs aquatiques et les centres de loisirs conçoivent nos attractions, comme je l’ai mentionné. Bien que ces attractions puissent influencer la vente et la tarification des logements, nous devons considérer un marché bien plus large. Ainsi, le secteur résidentiel n’entre même pas en ligne de compte lors des premières discussions de faisabilité du projet.
Le secteur résidentiel peut et doit contribuer au financement des attractions, et inversement, celles-ci peuvent influencer la vente et la tarification du secteur résidentiel, comme évoqué précédemment. En outre, l’élément le plus critique demeure le zonage et les exigences des autorités gouvernementales.
A.L.: Dans un monde de plus en plus sensibilisé à l’environnement, comment la durabilité est-elle intégrée dans l’exploitation des grands projets de loisirs et de tourisme ?
A.M.: La durabilité est un concept à la mode, mais elle doit être réellement prise en compte dès la conception schématique. J’ai vu certains parcs dans le monde exceller dans ce domaine, notamment Waterbom, à Bali. La majorité des projets sur lesquels j’ai travaillé mettent l’accent sur le recyclage, qu’il s’agisse du tri des déchets ou du recyclage de l’eau pour l’aménagement paysager, en particulier pour les parcs aquatiques. Je vois également un avenir prometteur dans l’utilisation de l’énergie solaire.
A.L.: L’industrie du loisir, du divertissement et du tourisme a dû faire face à des défis majeurs, notamment la pandémie. Comment gérez-vous les situations critiques dans vos projets et quelles stratégies appliquez-vous pour assurer la résilience opérationnelle ?
A.M.: La réouverture après la pandémie a été une expérience particulière pour moi, car j’étais en Chine avec l’Atlantis Sanya Resort. Nous avons été parmi les premières attractions à rouvrir à l’échelle mondiale, ce qui signifiait qu’il n’y avait aucun précédent sur lequel s’appuyer ; en réalité, notre succès a servi de référence. L’aquarium a été le premier à rouvrir, ce qui avait beaucoup de sens, car même pendant la fermeture, il avait des coûts opérationnels élevés pour l’entretien et les soins des poissons. La majorité de l’équipe est restée en activité durant cette période, ce qui a permis une réouverture rapide avec un minimum de personnel supplémentaire.
Le parc aquatique, en revanche, représentait un défi bien différent, car notre objectif lors de la réouverture était la rentabilité. Nous avons réussi, tant pour l’aquarium que pour le parc aquatique. Pour ce dernier, nous avons adopté des horaires stratégiques et une rotation des attractions afin de réduire les coûts liés au personnel et aux services. Cette approche a été appliquée pendant environ trois mois, garantissant la satisfaction des visiteurs tout en maintenant un strict contrôle des coûts d’exploitation. Concernant la gestion des risques sanitaires liés à la COVID-19, nous avons collaboré étroitement avec le gouvernement et suivi toutes les réglementations en vigueur pour assurer un fonctionnement sécurisé.
A.L.: Fort de votre vaste expérience, comment envisagez-vous l’avenir du développement des parcs à thème ?
A.M.: L’industrie est en pleine expansion à l’échelle mondiale, notamment au Moyen-Orient, et plus particulièrement en Arabie Saoudite, même si le succès reste à prouver. En Chine, nous voyons l’avenir dans les attractions basées sur des PI et les destinations touristiques. Nous pensons que le marché se renforce avec les PI ; nos études indiquent un fort potentiel de croissance dans ce domaine.
Quelle que soit la direction que prendra l’industrie, il sera toujours essentiel de mener des recherches approfondies et de suivre les principes de conception mentionnés précédemment. Je crois qu’il est primordial de comprendre pourquoi certains projets réussissent et d’autres échouent, afin d’appliquer les bonnes stratégies et d’éviter de répéter les erreurs des projets qui n’ont pas fonctionné.