Nous nous sommes entretenus avec Alain Al Helaly, un ingénieur qui possède plus de trente ans d’expérience internationale dans des domaines aussi variés que les loisirs et le divertissement, la technologie marine, la biotechnologie et les technologies vertes. Au cours de sa longue carrière, il a combiné des compétences d’ingénierie traditionnelles avec la conception d’attractions de parcs à thème ou de solutions techniques durables, et a même déposé ses propres brevets. Il a une histoire intéressante à raconter.

Amusement Logic : Vous êtes français originaire d’Irak, mais vous avez aussi des liens étroits avec le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite et maintenant la Suède. Parlez-nous de vos débuts.

Alain Al Helaly : Je suis un Français d’origine babylonienne, car je suis né à Bagdad. Enfant, j’ai déménagé au Royaume-Uni et j’ai grandi entre le Royaume-Uni et la France. C’est pourquoi je n’ai pas l’accent « grenouille » quand je parle anglais. À l’époque, je m’intéressais à tout, même à l’aviation, à l’ingénierie, à la nature, en particulier à la biologie et à la médecine. J’ai étudié la médecine vétérinaire pendant un an et demi, puis j’ai opté pour le génie maritime parce que je voulais découvrir le monde.

A.L. : En quoi consiste le génie maritime ?

A.Al-H. : Le génie maritime fait de vous un multitâche, un travailleur acharné, un bon penseur, un survivant, parce que lorsque vous êtes en mer, vous êtes seul avec Dieu et l’eau. Si vous ne faites pas bien votre travail, vous aurez de gros problèmes. Il faut trouver ses propres solutions, il faut survivre. Au-delà de la formation d’ingénieur naval, au-delà de ce que tout le monde fait, l’électromécanique, l’électronique, les mathématiques, la physique, la chimie, l’architecture navale …. Dieu sait quoi encore ! Il y a beaucoup à faire dans un atelier avec ses mains pour fabriquer des pièces mécaniques. Si l’on est envoyé en mer, il faut être autonome et savoir réparer, fabriquer, éteindre un incendie ou sauver des vies, pour finalement arriver à bon port.

A.L. : Le travail sur les navires marchands doit aussi être difficile pour la famille.

A.Al-H. : Oui, surtout quand je suis devenu père, avec la naissance de mon premier enfant en 1985. Dans la marine marchande, vous avez un bon mois et demi de congé tous les trois mois de service, vous passez donc beaucoup de temps à la maison. Mais je me suis rendu compte que je devais trouver quelque chose à terre pour me rapprocher de ma femme car, Dieu la bénisse, elle était à nouveau enceinte.

A.L. : C’est à ce moment-là que vous avez atterri à l’Aquaboulevard, le célèbre parc aquatique couvert de Paris ?

A.Al-H. : C’est une histoire drôle, mais très vraie. Je feuilletais le Figaro. A la fin, il y avait une rubrique emploi, quelques petites annonces sans grandes exigences de qualification. Mais l’une d’entre elles a attiré mon attention : « Le paquebot de Paris » est sur le point d’ouvrir et a besoin d’un « CAP Mécanicien ». En français, « paquebot » signifie bateau de croisière, mais le CAP (certificat d’aptitude) est un certificat technique que l’on peut facilement obtenir à l’âge de 15 ans. Mais j’y suis allé en pensant qu’il s’agissait d’un capitaine mécanicien.

J’ai pris l’adresse, il n’y avait pas d’e-mail à l’époque, et j’ai pensé qu’il devait s’agir d’un grand bateau remontant la Seine et que ce serait un hôtel ou quelque chose comme ça. Je n’ai même pas vérifié et j’ai simplement envoyé ma candidature. Il s’est avéré que le gars qui l’a vérifié était un ancien ingénieur naval de la marine française, Michel Brunet. Plus tard, lorsque nous sommes devenus amis, il m’a révélé qu’il m’avait convoqué à l’entretien pour comprendre comment quelqu’un avec mes qualifications pouvait postuler à un emploi aussi simple.

A.L. : Ce doit être l’une des façons les plus amusantes d’entrer dans l’industrie du divertissement.

A.Al-H. : L’Aquaboulevard était en construction. Michel m’a demandé : « Tu sais de quoi il s’agit ? Ce n’est pas pour un capitaine, mais pour un mécanicien junior, mais comme tu es ingénieur naval, tu pourrais être intéressé par le poste que j’ai créé pour contrôler aussi le chantier.” C’est ainsi que je suis devenu directeur technique adjoint à l’Aquaboulevard.

J’étais très habitué à travailler avec des pompes, des tableaux de commande, des tuyaux, des vannes, des systèmes de traitement de l’eau, etc. Il n’y avait rien que je ne connaissais pas. Et j’étais très heureux parce qu’à la fin de la journée, je pouvais dormir à la maison. C’était vraiment très intéressant, je travaillais très dur, je me suis fait respecter tout de suite et j’ai veillé à ce que le projet soit livré correctement.

Comme je l’ai dit, ma femme était à nouveau enceinte. En fait, notre deuxième enfant est né le jour même où l’Aquaboulevard a ouvert ses portes au public : le 15 avril 1989. Je n’oublierai jamais cette date. Elle a accouché à 4 heures du matin et à 5 heures j’étais dans le parc pour préparer l’ouverture.

A.L. : Et comment êtes-vous passé à Euro Disney ?

A.Al-H. : Au bout d’un an, le responsable du projet, Dominique Cocquet, nous a quittés pour devenir vice-président des relations gouvernementales à Disneyland Paris. Il m’appréciait beaucoup et m’a recommandé de postuler là-bas. J’ai alors été embauché par le directeur du Facilities Management, M. Eckart Schultz, un Allemand qui était très heureux de trouver un Français parlant couramment l’anglais. Il m’a embauché comme assistant superintendant avant l’ouverture du parc en 1992.

La plupart des américains qui sont venus pendant la construction voulaient rentrer chez eux et laisser quelqu’un d’autre prendre le relais. J’ai appris rapidement, j’ai travaillé dur et j’ai trouvé de nombreuses petites choses qui nous ont évité un désastre. À l’ouverture d’Euro Disney, je suis devenu responsable de l’entretien des montagnes russes et des autres attractions de Frontierland. Disney a été une grande expérience en termes de technologie, de maintenance, de programmation et de procédures opérationnelles standard de haute qualité, vraiment la meilleure formation.

A.L. : Néanmoins, vous êtes retourné au Moyen-Orient.

A.Al-H. : J’ai toujours été lié pour des raisons familiales à cette région, et notamment à l’Arabie Saoudite. Mais en 1996, un Américain très sympathique, qui était le directeur de l’ingénierie du groupe de travail qui est venu ouvrir Euro Disney et qui allait prendre sa retraite, m’a présenté à un millionnaire égypto-américain qui était en train de développer un grand parc à thème en Egypte (Dreamland). J’ai été invité, j’ai quitté Disney et je suis allé travailler en Égypte pendant deux ans.

C’était un grand changement, bien sûr. Disney est fantastique, comme je l’ai déjà dit. Mais c’est aussi comme une base militaire. Vous ne pouvez pas aller à gauche ou à droite comme bon vous semble et vous devez suivre le système. Et toutes les attractions sont présélectionnées, donc vous faites ce que les imagineers vous disent et vous suivez les règles. Mais encore une fois, Disney est Disney.

En Égypte, c’était complètement différent et il y avait beaucoup d’attractions différentes. C’est à ce moment-là que je me suis vraiment intéressé à la conception d’attractions, que j’ai collaboré avec divers fabricants et que j’ai même breveté certaines idées. J’ai donc poursuivi ma carrière dans cette région, car après le tournant du siècle, des projets de divertissement ont vu le jour dans tout le Moyen-Orient, comme Star City à Riyad et Restless Planet à Dubaï. J’ai même déménagé à Dubaï pour y travailler pendant quelques années.

A.L. : Dubaï a beaucoup changé depuis.

A.Al-H. : Oui, et la région va encore beaucoup changer parce que l’Arabie saoudite a pris les devants. Vision 2030 est une vision qui appartient au domaine de la politique et du progrès saoudiens. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe actuellement. Je connais très bien le tissu social saoudien. J’y vais depuis 40 ou 45 ans, depuis ma jeunesse, même lorsque j’allais à l’école. Il y a un énorme changement positif dans la mentalité. Il y a une ouverture d’esprit dont personne n’aurait pu rêver auparavant. Par ailleurs, l’Arabie saoudite possède de magnifiques plages sur la mer Rouge, de belles montagnes, des vallées verdoyantes, des déserts. Le climat y est extrême et on y trouve tout ce que l’on peut imaginer. Et ils investissent beaucoup, non seulement dans les loisirs et le divertissement, mais aussi dans l’agriculture, les infrastructures et le développement durable.

A.L. : Vous avez maintenant votre propre entreprise, Albeea, et vous développez vos propres idées, vos propres brevets.

A.Al-H. : Oui, mais je continue à faire du conseil dans le domaine des loisirs, par exemple pour l’optimisation des coûts des structures en acier pour les entreprises de loisirs, ou pour le développement de concepts de loisirs éducatifs. Mais aujourd’hui, je travaille surtout sur mes propres projets, des idées liées à la durabilité, comme un système de traitement de l’air utilisant des charges électroniques, des systèmes de refroidissement solaire, la récupération de l’eau, l’énergie éolienne ou des bâtiments flottants en béton.

A.L. : Ce qui correspond bien à votre formation d’ingénieur naval.

A.Al-H. : Oui, bien sûr. Les structures flottantes en béton sont les meilleures structures environnementales sur l’eau, elles sont moins coûteuses, faciles à produire et à construire et ont une durée de vie beaucoup plus longue sur l’eau, jusqu’à 200 ans ! Imaginez une péniche, un hôtel ou un spa dans des endroits marins difficiles d’accès ou qui ne sont tout simplement pas considérés comme étant de classe mondiale. Il est merveilleux de vivre au milieu de l’eau. Le processus de construction est très rapide et peu coûteux, et la partie flottante nécessite très peu d’entretien.

A.L. : Vous travaillez dans ce secteur depuis plus de 30 ans, comment voyez-vous l’évolution de l’industrie des loisirs ?

A.Al-H. : Tous les parcs, qu’ils soient à thème ou aquatiques, sont des projets intéressants pour les ingénieurs et les clients. Mais nous devons aussi éduquer les gens. Il est de notre devoir, en tant que créateurs, de divertir les gens tout en les sensibilisant à la connaissance et à la science. Il est de notre devoir, en tant qu’ingénieurs, d’expliquer aux gens comment les choses fonctionnent réellement et comment nous résolvons les problèmes et préparons l’avenir, que le sujet soit lié aux énergies renouvelables, à la pollution de l’environnement, à la pénurie d’eau, au recyclage, etc. Les gens ont besoin de savoir comment fonctionne une cellule solaire ou comment produire de l’énergie propre à partir de l’hydrogène sans aller à l’université. Nous pouvons l’enseigner et c’est peu coûteux. Vous les éduquez et ils s’amusent.

Pour en savoir plus, voici le lien vers la société d’Alain Al-Helaly : Albeea.